Association des amis de l'atelier du temps passé

Dossier technique : restauration traditionnelle présenté par Judith GRATZ

Du profane au sacré

Tableau intitulé "tête de vieillard" dans l’inventaire du Musée municipal de la ville de Nevers

Le sujet de notre étude fait l'objet de la restauration complète d'un tableau gracieusement prêté par le Musée Municipale de la ville de Nevers. Le tableau m'a été confié le 3 mars 1999 dans le but de me permettre de constituer un dossier mémoire comprenant la restauration conservative et esthétique d'une oeuvre.

II / DOSSIER HISTOIRE DE L’ART

A. - Contexte religieux

ZURBARAN " le repentir de Saint Pierre " 1659
Dim. 1,59 x 1,24 m.

Au XVIIè siècle, nous sommes en pleine guerre de religions entre protestants et catholiques. Une des principale discorde est celle du Sacrement.
Les protestants rejettent le Sacrement de Pénitence et finissent par ne donner au Sacrement de l’Eucharistie qu’une valeur symbolique. Jugeant la confession inutile, il considérait le baptême comme véritable Sacrement de Pénitence, ainsi le pêcheur était pardonné par l’acte même de son baptême.
D’après un commentaire de St Ambroise, Bellarmin enseignait que les larmes de Saint Pierre désespéré d’avoir renier trois fois son maître, était une image de la confession, mais les protestants objectaient qu’il n’avait pas avoué sa faute à Jésus Christ puisque ce dernier la connaissait déjà et n’eut à l’expier que de ses larmes. Saint Pierre prit alors la résolution de ne plus pêcher.

"St Pierre" RIBERA
Dim. 1,26 x 0,97 m. -coll° privée anglaise

Les théologiens catholiques établissaient par de nombreux arguments la nécessité de la confession, expliquant ainsi le besoin des artistes de représenter la confession sous les traits de Saint Pierre.

Le repentir de saint Pierre devient dès lors, pour la piété chrétienne, un sujet de méditation . On assurait que Saint Pierre avait pleuré sa faute tous les jours de sa vie en ayant continuellement "les yeux injectés de sang". On ajoutait que la nuit, dès qu’il entendait le champ du coq, il se levait pour verser des larmes. Les sermonnaires célébraient sa pénitence et les poètes la chantaient. Trosillo en Italie et Malherbe en France écrivirent sur les Larmes de Saint Pierre.

On comprend maintenant pourquoi les artistes ont si souvent représenté le repentir de Saint Pierre à la fin du XVIè siècle.

B. Étude iconographique

" Les larmes de Saint Pierre " -GUERCHIN
Dim. 1,22 x 1,59 m.
Louvres. Le sujet avait pour les contemporains une haute signification dogmatique : la confession y était mise sous le patronage du "Prince des Apôtres".

Il paraît évident que la figure de Saint Pierre repentant fut proposée aux peintres, d’abord par les hommes d’église. Elle devait d’ailleurs plaire aux artistes car elle invite aux attitudes pathétiques. Mains crispées, yeux au ciel, larmes, tout ce qui s’apparentait à la sensibilité de la contre-réforme.
Ce sujet fut traité dès les dernières années du XVIè siècle, par une gravure de Domenico Conti d’après Carrache (tableau conservé chez les Capucins de Bologne), ainsi que plusieurs tableaux du Greco.

"Saint Pierre" RIBERA
Dim. 0,78 x 0,65 - Naples

Début XVIIè on le retrouve chez Guido Reni (Musée de l’Ermitage et Collège Alberoni à Plaisance), chez Lanfranc, l’Albane et Giacinto Brandi (Galerie Borghèse à Rome) et chez Mola (Galerie Corsini à Rome). En Espagne avec Greco, Velasquez (collection de Beruete à Madrid) et Ribéra (Musée de l’Ermitage, Musée du Havre, Musée de Lyon). Enfin, en France par Hyacinthe Rigaud à la fin du siècle.

Pêcheur à Capharnaum en Galilé, sur le lac de Génézarth, Pierre fut avec son frère André, le premier des apôtres ayant suivi Jésus. De son vrai nom, il s’appelait Simon, mais il reçu du Christ le nom de Kephas (Petros en grec) pour signifier qu’il serait la pierre angulaire de l’Église. Son surnom à complètement supplanté son nom.

Sa vie se divise alors en trois grandes parties :

Les larmes de Saint Pierre " - ZURBARAN 1650
Dim : 1,30 x 0,96 m. -Marseille

-* Du vivant du Christ, il l’accompagne avec les autres disciples depuis le début du Ministère Galiléen jusqu’à l’arrestation au Jardin des Oliviers, puis, après la Résurrection, jusqu’à l’ascension.

  • Après la mort du Christ, il réside à Jérusalem où il est emprisonné par le tétrarque Hérode Agrippa.
  • Il se serait ensuite rendu à Rome dont il aurait été le premier évêque. Il est à nouveau jeté en prison et crucifié la tête en bas sur l’ordre de Néron vers 64-67 après JC.

Pour en revenir à son iconographie, il faut prendre en considération son attitude sur notre tableau et replacer le personnage dans son contexte d’apôtre. Manifestement, il est âgé et en position de pénitence, il s’agit alors ou bien d’un "repentir", ou bien des "larmes de Saint Pierre".

"Buste de Saint Pierre" BEINASCHI
Dim. 0,60 x 0,42 m. Bordeaux

Saint Pierre est reconnaissable non seulement à ses critères physiques, mais aussi par ses attributs. Il est grand, massif et âgé. L’art oriental lui prête une chevelure frisée, en occident, au contraire, on le représente avec un crâne chauve et rond d’où émerge seulement une touffe de cheveux du front. Sa tonsure rappelle qu’il fut le premier des prêtres chrétien.

Sa barbe bouclée est toujours courte. Figuré ici en apôtre, il porte conventionnellement un pallium (gros manteau laineux) de couleur ocre jaune par dessus un vêtement bleu.

Pierre est clavigère, il porte en effet une voire deux clés. L’une d’or, et l’autre d’argent, clefs du Ciel et de la Terre symbolisaient le pouvoir de lier et de délier, d’absoudre et d’excommunier que le Christ avait confié au Prince des Apôtres. Ces clés sont liées ensemble parce que le pouvoir d’ouvrir et de fermer est "un". Dans la croyance populaire, Saint Pierre devient alors le "Gardien du Paradis".

Si on compare sa représentation avec les autres tableaux de la même époque, évoquant le même thème, on peut s’apercevoir que la composition est très classique. Le personnage est présenté en buste, très imposant et se détache sur un fond neutre sombre. La palette étant réduite participe à concentrer le spectateur sur l’effet pathétique de la représentation.
Tout comme Guido Reni, Ribéra, Mola ou Hyacinthe Rigaud, l’artiste a opté pour un portrait en buste, en suggérant le mouvement par le choix d’un visage de 3/4 et des effets de drapés qui cassent le hiératisme de la position du personnage, lui redonnant ainsi sa dimension humaine.

C. ÉTUDE STYLISTIQUE

Saint Pierre de RIGAUT
1702 Musée de Perpignan

Le graphisme des mains colle complètement à celui de Guido Réni (ci-dessus). Le dessin parait mou en opposition à la vigueur du visage dont les volumes sont fortement marqués. On retrouve ce même sentiment d’opposition entre un visage de vieillard et des mains de jeune homme. De plus, l’ombre portée sur la joue gauche du personnage est présente aussi sur ce même tableau.
Le style pictural parait aussi très proche dans le rendu des chairs et le soyeux des mèches de cheveux et de la barbe. Une attention particulière est postée sur le visage qui concentre à lui seul l’intensité du tableau au détriment du rendu des matières de vêtements. Il s’agirait presque d’un vrai portrait tant le personnage a l’air vivant avec une émotion à fleur de peau humidité des yeux et larmes roulant le long des veines).

" Saint Pierre en prière " de MOLA
 Collection de Philippe de Noailles

Hyacinthe RIGAUD, peintre un peu plus tardif que Reni a reprit lui aussi la même composition mais dans le sens inverse. Son style est moins maniéré et la carrure du personnage s’accorde plus avec ses mains robustes, son cou large et son visage massif. Chez Reni et pour notre tableau, les mains du Saint sont très fines et les oreilles et la bouche paraissent presque trop petite par rapport au reste. Cet ensemble de caractéristique peut nous faire pencher pour attribuer notre tableau à l’école de Bologne.

On ne peut pas l’affirmer car il se pourrait qu’il soit tout simplement français. La comparaison des styles nous indique qu’il n’est pas espagnol, les ombres y étant plus marquées pour renforcer le sentiment dramatique. Dans notre tableau, le pathétisme n’est pas exacerbé.

CONCLUSION

Cette étude approfondie m’a permis :

de rendre possible la révélation d’un tableau magnifique, autant sur le plan technique que sur le plan pictural en soulevant le poids des "restaurations" antérieures et de leurs conséquences sur le tableau.

Différentes interprétation de Saint Pierre
À gauche : Détail du Saint André de RIGAUD -Musée de Perpignan / À droite : Détail de Saint Pierre -" St Pierre et St Paul " de Guido RENI Brera Milan

Elle a permis de faire un constat objectif sur les techniques anciennes pratiquées et les produits utilisés afin de positionner la Restauration Moderne sur les deux derniers siècles en pouvant juger d’une partie des matériaux et de leur dégradation.

D’un personnage tout à fait quelconque est né le "Prince des Apôtres", comme une renaissance après plus de deux siècle dans l’ombre.

Même si cette recherche n’a pas abouti à une éventuelle attribution, elle reste, pour moi, le récit d’un fabuleux voyage à travers le temps et à travers l’histoire de mon métier.

DOSSIER DOCUMENTATION

Bibliographie

Beguin A. Dictionnaire technique de la peinture -6 volumes
Bergeon S. Sciences et patience ou la restauration des peintures
Coremans P. "La recherche scientifique et la restauration des tableaux" -Bulletin de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique
Delbourgo S. "Les altérations de la couche picturale sous l’objectif du microscope" -Laboratoire de Recherche des Musées de France
Déon H. De la conservation et la restauration des tableaux
Emile-Mâle G. L’art religieux de la fin du XVIè, du XVIIè et du XVIIIè siècle
Restauration des peintures de chevalet
Hours M. Analyse scientifique et conservation des peintures
Knut N. Manuel de restauration de tableaux
La Bible et les Saints -guide iconographique
Manuel de la conservation et de la restauration des peinture -Office International des Musée.
Marijnissen R.H. Dégradation, conservation et restauration de l’oeuvre d’art
Réau L. Iconographie de l’art Chrétien

Remerciements

Je tiens à faire mes remerciements tout d’abord à Madame REGINSTER, Conservatrice du Musée Municipal de la ville de Nevers, pour la confiance qu’elle m’a accordée en me confiant ce tableau pendant plus de deux ans et demi.

Je rends hommage à toute l’équipe de l’ATPFormation, sans laquelle je n’aurais pu réaliser ce projet. Je remercie donc Annette DOUAY et Alix DUMIELLE qui m’ont encadrée avec patience et conseillée judicieusement, ainsi que Romuald BAUDIN qui m’a assisté lors de la restauration conservative du tableau.

Je ne saurais oublier mes parents qui m’ont apportés un soutien total tout au long de cette réalisation.