#1 14-09-2017 13:37:31

anastasia
Membre

Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Bonjour ,

Etant artiste peintre , je souhaiterais avoir l'avis des professionnels de la restauration , sur la manière de créer un tableau , pour limiter les dégâts liés au vieillissement ou au mauvais emploi des matériaux .

Notamment l'usage de solvant est-il indispensable pour la bonne adhérence des couches de peinture ou faire une peinture uniquement avec de l'huile sans terebenthine est-il possible ?

Merci !

Anastasia

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#2 19-09-2017 06:58:08

Denis
Moderateur

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Bonjour
Pour avoir été restaurateur de tableaux et avant peintre, et ayant rapidement peint en demi-pâte et pâte avec mon huile sans ajout de diluant ou d'un quelconque médium complémentaire, je peux vois pour le moment que mes huiles vieillissent correctement. Certes, les plus vieilles n'ont qu'une trentaine d'années, mais ce sont celles où j'ai expérimenté des ajouts d'huile ou de solvant qui ont le plus mal vieilli.

Ce qui fait qu'une toile vieillit bien est plutôt simple : la règle du gras sur maigre et la qualité du support. Les deux choses étant liées au même principe mécanique.
Si vous peignez en superposant une couche de peinture maigre (qui sèche plus vite) sur une couche de peinture grasse (qui sèche moins vite), lors de son séchage (et donc de sa réticulation) la peinture va se contracter et entraîner la couche du dessus dans son mouvement et donc la craqueler. C'est pour cela qu'il est nécessaire de peindre gras sur maigre et non le contraire.

Avant de parler du support, les siccatifs peuvent avoir des effets désastreux sur la couche picturale s'ils sont mal employés. Quant au support, c'est aussi lui qui fait craqueler les peintures à travers ses mouvements. Plus votre support est inerte, mieux votre peinture vieillira. Le problème des supports achetés dans le commerce est sa souplesse. Déjà, préférer les toiles de lin aux toiles en cotons plus réactives à l'humidité. Mais globalement les toiles achetées préparées sont mal tendues. Une toile doit avoir un son de tambour ! Faire un vrai "dông" quand vous tapez dessus.
Pour ma part, j'avais opté pour un compris entre la préparation traditionnelle et les préparations modernes. Prenez une toile de lin au tressage assez serré et au fil pas trop fin. Décatissez-la et faites-la sécher. Une fois sèche, vous la tendez sur votre châssis droit fil. Plus votre toile sera correctement tendue (droit fil) mieux elle prendra l'encollage. Puis encollez-la avec de la colle de peau de lapin à 10% (avec une pointe de fongicide). La toile va se détendre sous l'effet de l'eau qui allonge la fibre et se recontacter en séchant devenant parfaitement rigide.
Ensuite, j'utilisais un gesso acrylique passé en deux couches. Je peux vous garantir que votre toile a une réponse bien différente sous le pinceau des toiles industrielles.

Si vous avez peint sur une toile et que celle-ci ne vous plait, qu'elle a été encollée comme précédemment dit avant, n'hésitez pas à la retourner et à la retendre. Vous repassez deux couches de gesso (inutile de la réencoller), et vous pouvez repeindre. La peinture en dessous va isoler la toile de l'humidité lui permettant de résister un peu plus aux dégradations du temps.

Pour en savoir plus, vous pouvez lire l'article sur le vieillissement naturel des peintures http://www.3atp.org/Vieillissement-naturel-des, celui sur les craquelures d'âge http://www.3atp.org/Craquelure-d-age et celui sur les règles de conservation des peintures http://www.3atp.org/Regles-de-conservation-des.
Attendez plusieurs mois avant de vernis vos tableaux, mais vernissez-les ! Et si possible pas à la bombe, mais au spalter. Jetez aussi un oeil à l'article http://www.3atp.org/Pieges-des-nettoyages-de-peinture qui parle des mauvais mélanges de pigments qui ont des réactions chimiques qui dégradent la couche picturale.

J'espère avoir répondu à votre question.
N'hésitez pas à faire signe si vous avez des questions complémentaires ou si je n'ai pas été clair sur un point.
Et merci pour votre démarche conservative.


Plus on est patient, moins la mort se presse.

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#3 28-09-2017 18:04:34

anastasia
Membre

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Bonjour ,

Merci beaucoup d'avoir pris le temps de donner toutes ces informations détaillées , et j'apprécie votre double-casquette de peintre et restaurateur !

J'ai trois questions qui me sont venues au cours de recherches récentes et en lisant votre post :

1- le couche picturale risque-t-elle de se décoller plus facilement de son support si elle ne pénètre pas par l'intermédiaire d'un diluant ( ex terebenthine ) ? Autrement dit le diluant a-t-il un rôle d'intégrateur de la peinture dans le support ?

2- le blanc d'argent et le blanc de titane ne sont pas compatibles avec le bleu outremer , le vermillon et les cadmiums . Cf le lien ci-dessous :

http://www.artetpeinture.com/Files/341_les_pigments.pdf

Or le zinc aurait la propriété de "protéger" le plomb du soufre contenu dans ces pigments . Doit-on en conclure que le Flake White qui est un mélange de blanc de plomb et de zinc serait le meilleur à utiliser ? Et le zinc protège-t-il également le titane au même titre ?

Voilà pour les questions du jour ! smile Avec un grand merci !

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#4 29-09-2017 05:20:00

Denis
Moderateur

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Bonjour
Et de rien.

Pour votre première question, en toute logique, si votre encollage et votre préparation sont correctement faits, vous n'avez pas ou très peu de pénétration de la CP avec le support. Si vous travaillez en pâte ou demi pâte, vous n'avez que très peu de raison d'ajouter de l'huile et/ou de la térébenthine. C'est vraiment une accroche mécanique plus qu'une accroche chimique qui lie la CP et le support et en cela, ce sont les mouvements du second et la contraction interne du premier qui régissent le vieillissement.
Si vous déposez une grosse touche de peinture très légèrement sur une autre couche épaisse, vous risquez effectivement un problème du fait d'une éventuelle bulle d'air que vous auriez fait prisonnier entre les deux couches et qui peut travailler la liaison entre les deux couches... mais je crois que la majorité des soulèvements et des déplacages que j'ai vu provenaient de mouvement des supports, de peinture maigre sur gras ou d'excès de siccatif.
Pour une gouache sur papier, le diluant à un rôle d'intégration de la peinture dans le support, mais je ne crois pas que l'on puisse parler de cela pour une huile sur toile.

Pour ma part, par principe, je n'utilise pas de blanc de plomb. C'est une peinture qui a tué et rendu malade des milliers de personnes et qui continue de le faire. Je n'ai pas trouvé d'incompatibilité entre le blanc de titane et le bleu outremer, le vermillon et les cadmiums dans le document que vous cité. Mais peut-être l'ai-je lu trop vite ? J'ai toujours utilisé du blanc de titane et parfois du blanc de zinc, moins éclatant et peut-être "plus bleuté". Avec près de trente ans de recul sur mes premières peintures, je n'ai pas vu de problèmes avec l'utilisation de blanc de titane. Les problèmes que je vois sont tous issus de tentatives d'ajout de médiums, de solvants et/ou de siccatif autre que ceux préconisés pour une peinture en glacis (2/3 huile 1/3 térébenthine). Aussi, si vous n'utilisez pas de blanc de plomb, vous échapperez à beaucoup de problèmes.

Pour le reste, faites confiance à ce que vous lisez si ce n'est pas édité par les fabricants ! N'étant pas chimiste, je ne peux vous dire si mettre du blanc de zinc avec du blanc de plomb est véritablement protecteur ou avec du blanc de titane, mais étant amateur des cadmiums (surtout des rouges) et les ayant depuis longtemps et à de nombreuses reprises utilisés avec du blanc de titane, je n'ai pas remarqué pour le moment de détériorations particulières.
Tout ancien restaurateur que je suis, je crois que si il est nécessaire d'avoir une réelle attention sur les supports et leur préparation et si possible sur les compatibilités entre les médiums de bases et ce que l'on ajoute dedans, il faut aussi s'accorder la liberté du créateur sans trops se prendre la tête. Quand les moines souffle sur un mandala de pigments, il ne se demandent pas trop si leur mélange était pérenne. Je crois que c'est une grande leçon d'humilité pour tout artiste.

Bonne journée à vous, et n'hésitez pas si vous voulez continuer cette discussion.


Plus on est patient, moins la mort se presse.

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#5 02-10-2017 11:09:05

anastasia
Membre

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Un grand merci pour vos réponses si détaillées , c'est très intéressant .

Concernant le blanc de titane , voici la phrase que j'ai relevée :

" Le blanc de titane serait douteux dans certains mélanges: avec les chromates, le vermillon, le bleu outremer, le jaune de cadmium "

Si on ne peint pas en "alla prima " c'est à dire en une fois , et que l'on doit reprendre une peinture , quel est le temps de séchage à respecter avant de reprendre ? Et pour désembuer la peinture avant de reprendre , peut-on passer au pinceau le  le mélange térébenthine/huile dont on se sert comme medium ( en ajoutant plus d'huile que la dernière couche pour respecter la règle du gras sur maigre ) ?

Merci de votre réponse ,

Anastasia

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#6 02-10-2017 12:22:26

Denis
Moderateur

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Bonjour Anastasia

Pour le blanc de titane, vous pouvez effectivement utiliser le blanc de zinc pour ces mélanges douteux. Pour ma part, je trouve cela rapidement compliqué sur une palette et le processus créatif étant ce qu'il est, il faut un certain temps pour automatiser le réflexe de changer de blanc selon les mélanges.

Par contre, je ne comprends pas très bien la question suivante. Qu'entendez-vous par désembuer ? La présence de d'embue sur la couche picturale après la première couche ?
Je ne suis pas un spécialiste du glacis, trop contraignant à mon goût et je suis plus proche des techniques post-impressionnistes ou, comme vous dites, globalement alla prima en pâte ou semi-pâte, voire frottis.
Quoi qu'il en soit, je vous déconseillerais de passer une couche de médium par-dessus votre couche de peinture. Si vous voulez reprendre après, il faudra encore être plus gras et vous finirez par être trop gras, et cela ne sert à rien, du moins, à mon avis.
Pour le temps de séchage, cela va dépendre de votre couche. L'idée est d'attendre un temps suffisant pour que votre action n'interagisse pas avec votre couche précédente et dépend donc aussi de la façon dont votre seconde couche est chargée en médium. Cela peut donc aller de quelques heures pour une huile dont vous avez "aspiré" l'huile avec un buvard, à plusieurs jours pour certains glacis.

Vous êtes dans quelle configuration ?


Plus on est patient, moins la mort se presse.

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#7 04-10-2017 13:49:21

anastasia
Membre

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

L'embu résulte de l'absorption de l'huile par le support , qui fait que lorsque l'on laisse sécher une couche , on constate que c'est devenu "mat" et blanchâtre , et on ne réveille les couleurs de la couche picturale qu'en passant du vernis à retoucher ou du médium . Cette opération est indispensable si l'on veut reprendre le travail avec les couleurs réelles . Je pense qu'effectivement c'est une opération à éviter , mais lorsque l'on ne travaille pas en une fois ( ce qui serait l'idéal je vous l'accorde ! ) , on est obligé de passer plusieurs couches ou au moins retoucher la couche déjà présente .

Je travaille comme ceci généralement : j'installe la composition grossièrement avec de la peinture délayée avec de la térébenthine . Une fois que c'est sec , je passe la couche principale en demi-pâte ( pâte délayée avec mon medium qui est constitué d'une mesure d'huile de lin pour une mesure de térébenthine ) . Quand c'est sec je fais des retouches voire je repeins des parties qui ne seraient pas à mon goût , avec un medium constitué de 2 mesures d'huile pour 1 mesure de térébenthine , après avoir désembué les parties à repeindre avec ce même medium . Et j'ai souvent besoin de plusieurs séances de retouches ou repeints , tant que je n'ai pas abouti au résultat voulu . J'essaye de rajouter toujours plus d'huile à mon medium au fur et à mesure que j'avance le tableau pour rester dans la règle du gras sur maigre , ou alors je reste plusieurs jours avec un mélange identique . Je désembue systématiquement avec du medium sur la CP avant de peindre ou je n'en repasse pas , selon que je juge utile ou non de le faire ( les couleurs avec une prédominance de blanc ne posent pas de problème avec l'embu ) .

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#8 04-10-2017 14:21:16

Denis
Moderateur

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Bonjour Anastasia
Ce phénomène d'embus (qui est bien ce que je pensais) résulte du fait que la térébenthine "amaigrit" votre couche initiale. De plus si votre préparation de support est bien faites (décatissage de la toile, encollage à la colle de peau de lapin et enduit — au plus simple un enduit acrylique tout prêt, éventuellement en deux couches) votre support ne devrait pas absorber l'huile, sauf si vous peignez sur carton.
Peut-être devriez-vous essayer de mettre un quart d'huile dans votre médium de départ, puis augmenter d'un quart par couche.

D'après ce que je comprends, vous n'êtes pas vraiment dans une peinture aux glacis, aussi, vous pourriez peut-être commencer par une fine couche sans médium, travaillée en frottis, puis travailler en demie-pâte pour la couche principale (sans médium) et enrichir légèrement vos couches complémentaires à l'huile. Cela diminuerait aussi les temps de séchage entre les couches.
Les pigments les plus absorbants sont les pigments terreux, vous pourriez peut-être dans votre première couche, n'enrichir (légèrement) à l'huile que les couleurs dont les pigments sont absorbants.

Reste aussi à savoir quel rendu vous voulez. Plus vous mettez d'huile, plus votre peinture sera brillante, mais avec les procédés dont je vous parle, vous pourrez amenez la brillance une fois le tableau fini et sec avec un vernis Damar.

Sans voir votre travail, c'est un peu difficile de tenter de vous trouver une solution. Mais passer une couche de médium pour supprimer les embus n'est pas une bonne solution, il faut chercher un moyen de les éviter.

Tenez-oi au courant.
Amicalement

Dernière modification par Denis (04-10-2017 14:21:35)


Plus on est patient, moins la mort se presse.

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#9 13-10-2017 10:14:19

anastasia
Membre

Re : Etapes de création du tableau idéal ( en terme de conservation )

Merci beaucoup pour vos conseils , effectivement je n'avais pas pensé au coup du frottis en première couche , ça évitera par la même occasion les odeurs nocives de le térébenthine ! Réflexion faite , en travaillant ces derniers jours , je me suis en fait aperçue que mes dernières couches ressemblaient plus à du glacis ..je ne suis pas avare en medium !

Je vais essayer de mettre en application cette nouvelle manière de procéder . Et en installant le dessin de façon plus rigoureuse sur la toile au départ , je pense que ça peut éviter des retouches intempestives également ! smile

Un grand merci pour tous vos messages en tout cas ...suite au prochain numéro !

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