Association des amis de l'atelier du temps passé

Matériaux et réactions physiques

Les substances filmogènes

Un cours de Sylviane Rieuf, sur les bases des ouvrages de Liliane Maschelein-Kleinert

On appelle substance filmogène une substance qui est appliquée en couche mince, sous forme liquide, sur un support, et qui devient ensuite une pellicule solide, ou film, ou feuil. Dans le monde de l’art, liants, adhésifs et vernis sont des substances filmogènes. (Cours préparé à partir du Masschelein-Kleiner : « Liants, vernis et adhésifs »)

A. Les filmogènes sont appliqués sous forme liquide

Il s’agit de substances fondues, de solutions, de dispersions ou d’émulsions.

a. Substances fondues

Nous avons vu que la fusion représentait un changement de l’état solide à l’état liquide, sous l’effet de l’élévation de température (ou de pression). Lors du refroidissement, il y a retour à l’état solide, par solidification.
Ex : la cire, la colle du pistolet à colle.

b. Solutions

C’est un mélange homogène de 2 ou plusieurs substances ayant une grande affinité entre elles, ce qui fait qu’elles s’y trouvent mélangées jusqu’à l’échelle moléculaire.
Dans une solution, les particules ont une taille de l’ordre de 10 angstrœm, c’est-à-dire du millionième de millimètre !

Dans une solution, la substance la plus représentée est appelée solvant.
La (ou les) substance(s) qui sont dissoutes dans le solvant sont appelées soluté(s).

Exemples : des vernis, certains adhésifs sont des solutions.
Lorsque le solvant est de l’eau, on parle de solution aqueuse.

Exemple : solution aqueuse de sel de cuisine

Dans la solution aqueuse de sel (autrement dit, dans l’eau salée), les molécules d’eau sont intimement mélangées aux ions Na+ et Cl- qui composent le sel. Les cristaux de sel qu’on a mis dans l’eau se sont dissous.
Cependant, il peut arriver que des cristaux restent visibles ; ; c’est ce qui se passe lorsque la solution est saturée : quand l’eau a dissous tout le sel qu’elle pouvait dissoudre, le sel excédentaire ne peut plus passer en solution et demeure au fond du récipient.

c. Dispersions

C’est un mélange plus grossier : des particules de substances plus ou moins fines sont en suspension dans un liquide. Ce liquide est appelé phase dispersante. Il n’y a pas d’affinité chimique entre la phase dispersante et les particules : les grains restent repérables, ils ne se dissolvent pas, comme le font des cristaux de sel dans l’eau.
Voici un exemple de dispersion aqueuse d’une poudre de pigment :

Attention : lorsque de très grosses molécules sont mises dans une phase dispersante, comme par exemple des protéines (blanc d’œuf, gélatine) ou bien des glucides complexes (amidon, cellulose, gomme adragante) ou bien de petites molécules regroupées en amas appelés micelles (lait), on obtient une solution colloïdale.

Les dispersions colloïdales ont un aspect laiteux, car les grosses molécules ou les micelles diffractent la lumière : c’est l’effet Tyndall (visible dans le verre de gauche).

d. Emulsions

C’est la dispersion de deux liquides insolubles l’un dans l’autre. Le plus abondant des deux liquides constitue la phase dispersante ou phase externe. Le moins abondant est appelé phase dispersée ou phase interne. C’est le liquide le plus abondant qui donne à l’émulsion ses propriétés (viscosité, aspect, comportement, type de diluant à employer, ...).

Epaissit si on ajoute de l’huile (mayonnaise) Epaissit si on ajoute de l’eau
Se dilue si on ajoute de l’eau ou du liant aqueux Se dilue si on ajoute de l’huile ou du liant à l’huile
Ex : jaune d’œuf, peintures alkydes, utilisées avec des adjuvants comme le Liquin ® ;
le liant méthylcellulosique peut permettre de fabriquer une émulsion maigre
Ex : laque japonaise KI-URUSHI ou laque sumac,

Laissées telles quelles, les émulsions sont instables : les deux liquides ont tendance à se séparer. Article sur comment préparer des émulsions

B. Conditions pour obtenir de bonnes substances filmogènes, à l’état liquide

a. Mouillabilité

Mauvaise mouillabilité


Bonne mouillabilité

Liants et adhésifs ne fonctionnent correctement que s’ils mouillent bien les particules à lier ou les surfaces à coller.
Nous avons vu que les liquides à forte tension superficielle comme l’eau ne sont pas des bons mouillants  avec l’aquarelle, difficile d’étendre la peinture : il faut mouiller le papier au préalable. Difficile également de réaliser un modelé : la couleur s’arrête à la limite du coup de pinceau. Les anciens contournaient le problème en utilisant des hachures.
L’huile a une tension superficielle faible, donc elle mouille mieux les surfaces.
Nous savons qu’il est possible d’améliorer le mouillage grâce à un tensioactif : ex fiel de bœuf.
Cas particulier : L’emploi d’un tensioactif peut être indispensable, lors du broyage de pigments : le bleu de Prusse et le bleu de phtalocyanine sont des pigments dont les grains portent, à leur surface, des molécules d’eau. Il est donc difficile de les broyer dans l’huile, car huile et eau sont non-miscibles ! André indiquait d’autres pigments : lui demander ?

b. Stabilisation des pigments

Comment préserver une bonne dispersion des grains de pigments dans le liant ?

On utilise de grosses molécules qui augmentent la viscosité et freinent le mouvement des particules, qui migrent donc moins facilement vers la surface ou vers le fond de la couche. Ces grosses molécules sont des colloïdes.

Remarque : Liliane Masschelein-Kleiner signale une propriété électrostatique liée aux colloïdes qui renforceraient la dispersion des grains de pigments : Les colloïdes entourent les particules de pigment. Ils s’entourent à leur tour d’une couche d’ions de même signe prélevés dans le liant : il se forme alors autour des grains de pigment une couche électriquement chargée. Les couches entourant 2 grains voisins portant la même charge, elles se repoussent. La dispersion des grains de pigments est assurée.

Remarque : Il existe, dans les peintures actuelles, des agents à la fois mouillants (= riches en groupes fonctionnels hydrophiles) et dispersifs (= grosses molécules).

c. Propriétésrhéologiques

La rhéologie est l’étude de l’écoulement et de la déformation de la matière sous l’effet de contraintes.

On peut différencier 4 types de liquides, qui réagissent différemment lorsqu’on les soumet à une contrainte croissante (ici, un récipient qu’on incline de plus en plus pour le vider) :

  • Les liquides « newtoniens »  : quand je penche le récipient qui les contient, ils s’écoulent ; plus je penche le récipient, plus ils s’écoulent vite  (ex : eau, solvants organiques, huiles minérales...).
  • Les liquides rhéofluidifiants : leur viscosité, d’abord assez forte, décroit lorsque je penche le récipient. Il s’agit de substances formées de grosses molécules à longues chaines ; lorsque la contrainte augmente, elles finissent par s’aligner, ce qui facilite leur glissement relatif (ex : pâte à papier, colle, ciment...).
  • Les liquides plastiques : quand je penche le récipient, ils ne s’écoulent pas tout de suite, il faut que la contrainte atteigne un seuil pour qu’ils commencent à couler. Il s’agit de liquides formés de structures emboitées ou floculées, le seuil correspond à l’énergie qu’il faut appliquer pour séparer ces structures (ex : dentifrice, boue, pâte à pain, matière grasse, peinture dispersion).
  • Les liquides thixotropes : leur viscosité décroit si la contrainte augmente, mais cette viscosité recommence à augmenter dès que la contrainte diminue (ex : peinture pour plafond en gel, pâte de maïzena, sable mouvant). La matière passe successivement de l’état de gel (= quasi solide) au repos, à l’état de sol (= quasi liquide) lorsqu’on l’agite.

Rubens connaissait une recette de liant thixotrope ; la légende dit qu’il aurait peint « la kermesse » en 24h (André est archi pas d’accord !...). Soyons moins précis : « en très peu de temps ». Les couches posées en premier se sont prises en gel, avant que ne soient posées les couches sur-jacentes. Malheureusement, la recette s’est perdue.
Toutefois, on sait ajouter aux peintures actuelles des composés qui les rendent thixotropes :

  • peinture à l’huile : savons de métaux lourds, cires, alginates de calcium ou de magnésium, résines polyamides...
  • en milieu aqueux : protéines (caséine, albumine, gélatine) ou glucides complexes (gommes)

Quel intérêt pour le peintre d’avoir une peinture thixotrope ? C’est une matière dont il peut régler la viscosité, conciliant ainsi deux qualités indispensables : la tenue de la pâte au repos et sa fluidité, intéressants notamment lors du travail à la touche et par empâtement (d’après wikipedia).
Une peinture doit posséder une faible viscosité à fort cisaillement afin de pouvoir être étalée facilement. Par contre, elle doit retrouver rapidement une forte viscosité dès que la contrainte s’annule afin d’éviter les coulures... mais pas trop rapidement si l’on veut un effet tendu (d’après « initiation à la rhéologie »)

La brossabilité est la facilité d’application de la matière en couche. Elle dépend de l’effort d’arrachement aux poils du pinceau et du nombre de coups de pinceau à donner pour obtenir un étalement correct. Avec une peinture thixotrope, l’alternance coup de pinceau (=agitation) / repos détruit et restaure successivement la structure du film.

La qualité d’étalement désigne la facilité avec laquelle les irrégularités de surface (dues aux poils du pinceau, par exemple) disparaissent par étalement naturel de la peinture. Plus la tension superficielle de la substance est faible, mieux l’étalement se réalise.

d. Prise d’huile – concentration critique

La prise d’huile correspond à la quantité d’huile de lin nécessaire pour mouiller complètement 100g de pigment. C’est une donnée empirique, qui varie en fonction des pigments employés.

À cette donnée, on en préfère maintenant une autre, qui a l’avantage de fonctionner aussi avec des liants autres que l’huile : la CVCP (concentration volumétrique critique du pigment).

La CVCP correspond à la quantité de liant minimale pour mouiller entièrement des grains de pigments : quantité de liant adsorbé sur les grains + liant interstitiel. Tout liant supplémentaire est excédentaire.

Remarque : adsorption = fixation à la surface d’une substance (à ne pas confondre avec absorption = passage à l’intérieur de la substance)

Si on augmente la teneur en pigment par rapport à la quantité de liant, donc si le liant ne suffit pas à mouiller entièrement tous les grains de pigment :

  • le brillant diminue
  • l’opacité augmente
  • la perméabilité augmente

C. L’adhésivité

  • Adhésivité = aptitude qu’a un revêtement à adhérer à son support
  • Adhérence = aptitude qu’a un revêtement à ne pas quitter son support.

L’adhésivité de la pâte verte lui permet à la fois de coller au mur et aux doigts.
À cause de la pâte verte, l’adhérence des semelles au sol est renforcée.

Pourquoi la colle colle ?

L’adhésivité de la pâte verte lui permet à la fois de coller au mur et aux doigts.
À cause de la pâte verte, l’adhérence des semelles au sol est renforcée.
On aurait envie de croire qu’il suffirait de replacer soigneusement les morceaux du vase qu’on vient de casser pour que les atomes, remis à leur place, créent à nouveau les liaisons qui existaient avant la cassure. Malheureusement, nous savons bien que ce n’est pas le cas.
 

Pourquoi ? C’est qu’à l’échelle atomique, la fracture qui nous parait très fine lorsque nous avons remis en place le morceau brisé, est un véritable « Grand Canyon ». Impossible pour les atomes ainsi séparés d’interagir, car les forces d’attraction diminuent drastiquement quand la distance entre les atomes augmente.

Le collage consiste à créer un « pont » pour combler le vide entre les deux parties à coller, au moyen de l’adhésif. Si les molécules de la colle ont des affinités avec les surfaces encollées, des forces d’attraction vont naître lorsque la colle sèche, entre la surface encollée et la colle. S’il existe, au sein de la colle, des forces de cohésion suffisantes, le tour est joué !

Ce sont ces forces d’attraction surface/colle/surface, et les forces de cohésion au sein de la colle, qui vont se substitueraux forces d’attraction atomique préexistantes à la cassure.

1. Causes mécaniques

Si le film est bien liquide, et s’il mouille convenablement les surfaces à coller, il peut pénétrer dans les interstices par capillarite, ou bien être forcé à l’intérieur des anfractuosités par la pression appliquée sur le pinceau qui pose la colle, et y rester ancré après séchage

Exemple : Rentoilage à la cire-résine, ou à la colle de pâte ; on imagine sans mal la colle pénétrer dans les interstices des deux toiles à joindre, et créer de solides points d’ancrage.

Quel est le collage qui tiendra le mieux ? a) ou b) ? Pourquoi ?

2. Causes physico chimiques

Les causes mécaniques n’expliquent cependant pas toutes les adhésivités (on peut coller des surfaces lisses).
S’il existe une affinité moléculaire entre la colle et la pièce à coller, l’adhésion a lieu. L’adhésion fait appel à l’ensemble de forces d’attraction que nous avons déjà rencontrées :

  • forces de van der Waals
  • liaisons hydrogène
  • liaisons ioniques
  • liaisons covalentes

Tout dépend de la nature chimique de l’adhésif et de celle de la pièce à coller, mais en général, les adhésifs sont des molécules riches en liaisons polaires.
Les cires paraffines, qui possèdent peu de liaisons polaires, ne sont pas très adhésives. La cire d’abeille, qui en contient plus, est adhésive. La résine qu’on ajoute à la cire pour le rentoilage, apporte des liaisons polaires qui renforcent l’adhésivité de la cire d’abeille.

Exemple : Une colle où se forment des liaisons covalentes : la colle époxy (type Aradite)

3. Optimiser les conditions du collage

Tout ce qui gène le contact colle/surface nuit évidemment au collage.
Il faut donc se méfier des traces grasses sur la surface à encoller qui diminuent la mouillabilité de la colle. Le gras (= peu de liaisons polaires) n’a pas d’affinité pour la colle, qui contient des liaisons polaires. C’est toujours la même règle :

« Qui se ressemble s’assemble »
Polaire + polaire = :-)
Non polaire + non polaire = :-)
Polaire + non polaire = :-(

Se méfier aussi des solvants, agents plastifiants, etc..., qui peuvent entrer en compétition avec la colle, pour les sites polaires qui se trouvent sur la surface à encoller.

(Grande propreté + colle à mouillabilité correcte et à affinité pour la surface= meilleures chances d’adhésion correcte)

Expériences :

1) préparation d’une solution aqueuse de colorant alimentaire, et d’une dispersion de gouache bleue (grains de pigments, donc solides) dans l’eau

2) Comparaison de la sédimentation des pigments dans une dispersion de gouache dans l’eau et dans une dispersion de gouache dans une solution colloïdale (eau + blanc d’œuf)

3) Le collage de deux biscottes à la confiture de figues (de Provence)

Deux biscottes sont soigneusement enduites d’une fine couche de confiture.

On prend grand soin à faire pénétrer la confiture dans les pores de la surface des biscottes, de façon à chasser les bulles d’air qui s’y trouvent.

Puis on réalise un « sandwich à la confiture », en superposant les faces enduites de confiture.

On constate que les deux biscottes sont collées, qu’il faut exercer une traction relativement forte pour les décoller. Le décollement se fait toujours au sein de la confiture, et non pas entre confiture et biscotte : ce sont les forces de cohésion
au sein de la confiture qui cèdent à la tension imprimée aux biscottes collées. Les forces d’adhésion existant entre confiture et biscotte sont suffisantes pour que ces deux matières restent intimement en contact.

Et si on met du beurre entre les biscottes et la confiture avant de réaliser le sandwich ?

Le collage est moins réussi : il y a une mauvaise compatibilité entre le beurre (matière grasse donc peu polaire) et la confiture (matière sucrée, à base d’eau, donc polaire). Ces deux types de matières n’ont pas une grande affinité l’une pour l’autre.

Polaire + non polaire = :-(

Rien à voir avec le sujet, mais joli : Deux œuvres de street art en ruban adhésif (cliquer sur les images pour les agrandir).